Le CCME planche sur la question de l’emploi en Mauritanie du 05 /12/2020

sam, 05/12/2020 - 11:48

 « Insertion, formation et emploi: quelles perspectives  pour les jeunes en Mauritanie?»Tel est le titre de la conférence virtuelle organisée samedi 05 décembre par le Collectif des Cadres Mauritaniens Expatriés (CCME).

Cette conférence la seconde du genre qui voit la participation de membres du gouvernement a été rehaussée par la participation de Taleb Ould Sid’Ahmed, ministre de l’emploi, de la jeunesse et des sports, le ministre de l’éducation nationale, de la formation et de la réforme Melainine Ould Eyih qui devait aussi prendre part à cette conférence a désisté à la dernière minute pour raison de force majeure.

Et pour animer le débat aux côtés du ministre de l’emploi il y avait Moussa Bathily Ba, Expert international, membre du CCME. Des intervenants de haut niveau ainsi que des journalistes ont également intervenu et soulevé des problématiques auxquelles les panélistes ont répondu sans complaisance.

D’emblée Abdoulaye DIAGANA qui a assuré la modération a planté le décor en soulignant qu’après 60 ans d’indépendance et la crise de la Covid, la Mauritanie qui prépare l’après Covid fait de l’emploi une priorité et s’emploie à la mise en œuvre de l’ODD8 pour assurer un emploi décent à tous. Mais comment y arriverait-elle ?

Prenant la parole, Moussa Bathily Bâ est revenu sur l’ODD8 pour attirer l’attention sur le concept de travail décent avec son contenu de droits humains.

Le panéliste a affirmé que depuis l’an 2000 les politiques publiques et autres stratégies ont conduit les jeunes vers ce qu’il a appelé la longue marche vers l’emploi qui est semée de doute et de frustration qui peuvent alimenter le radicalisme et l’extrémisme violent d’où la nécessité de solutions urgentes.

Bathily décline cette problématique en trois dimensions : la compétence, la perception que les jeunes se font de leur situation et le genre. Et d’expliquer que 8 élèves sur 10 n’ont pas accès au livre et d’attirer l’attention sur l’image de l’école déclinée devant le président de la République par Sy Adama, le maire de M’Bout à l’occasion du lancement de l’année scolaire 2020-2021.Le maire de M’Bout qui avait déclaré : « quand j’étais élève dans cette même école avant l’indépendance j’avais des cahiers, un porte-plume, un buvard, des livres, un bon enseignant et j’étais à l’internat. Aujourd’hui il y a des centaines d’élèves sans classe… »

La compétence cognitive est également en jeu aujourd’hui car en 2008 rappelle notre panéliste il y avait 44% de réussite au baccalauréat aujourd’hui on tourne autour de 10% et 90¨% des élèves n’ont pas le bac. Bathily enfonce le clou en déplorant les mauvais résultats de la réforme du système LMD qui n’a jamais été évaluée et dont les filières ne sont pas pertinentes au niveau du marché du travail.

La dimension genre est elle aussi mise à mal. En effet les femmes sont majoritaires mais elles sont exclues du système et le paradoxe c’est que la Mauritanie est championne de la scolarisation des filles lesquelles sont bloquées très tôt dans leur parcours scolaire à causes de facteurs sociaux et par certaines contraintes du système éducatif.

En conclusion Bathily préconise certaines mesures au sujet de la politique d’emploi : engager entre autres une réflexion spécifique sur l’emploi des jeunes filles ; dépolitiser le Haut Conseil de la Jeunesse et impliquer les réseaux et structures de jeunesse dans les politiques menées ; créer des opportunités de formation en faveur des décrochés scolaires (350000 jeunes n’accèdent à aucune forme d’éducation) ; monter des formations professionnelles courtes pour permettre l’accès de ces jeunes à l’emploi. Et Bathily d’ajouter que la réforme de l’éducation en vue est une opportunité. Il préconise également la création d’un RMI (Revenu Minimum d’Insertion) pour aider les jeunes diplômés qui sont dans l’antichambre de la vie active.

Intervention du ministre de l’emploi…

Comme à son habitude Taleb Ould Sid’Ahmed, ministre de l’emploi, de la jeunesse et des sports était très décontracté devant ses amis du CCME dont il a salué l’apport fort positif. Ce serait dit-il un vrai gâchis si on n’essaie pas de tirer profit de l’expertise du CCME qui rappelle-t-il n’en est pas à son coup d’essai.

Le ministre est ensuite entré dans le vif du sujet revenant longuement sur la structuration du secteur de l’emploi en Mauritanie. Notre méthode affirme-t-il sans ambages c’est la transparence. Nous donnons les chiffres réels. Et le ministre de déclarer que 60% des jeunes de moins de 35 ans sont au chômage et cela nous interpelle tous dit-il. Ce n’est pas seulement l’affaire du gouvernement.

Durant les 10 dernières années le pays n’avait pas de stratégie pour l’emploi ce qui est un handicap et Taleb de donner l’exemple de ces 21 millions de dollars de la Banque Mondiale initialement destinés aux projets de l’emploi et qui se baladaient entre les différents ministères. Donc jusque-là l’impact était nul.

Le ministre est revenu sur la stratégie du secteur qui dit-il est l’une des premières mesures prises, une stratégie (2020-2024) qui s’étale sur le premier mandat du président Ghazwani et dont l’objectif principal est de réduire le taux de chômage en Mauritanie.

Le ministre a fait le point sur les principaux projets actuellement sur orbite avec des réalisations concrètes en un temps record et dans un contexte difficile marqué par la pandémie de la Covid 19.

Il y a entre autres deux importants projets portant sur l’employabilité des jeunes avec le concours de la Banque Mondiale (BM) et la Banque Africaine de Développement (BAD).

Le ministre a déclaré au passage que certains secteurs comme ceux de la pêche, de l’agriculture et des BTP peuvent à eux tout seuls assurer un emploi pour tous les mauritaniens mais faudrait-il qu’on se départisse de certaines mentalités préconise-t-il.

Autre obstacle souligné par le ministre : le manque de qualification des demandeurs d’emploi et c’est là un problème qui ralentit l’embauche de 6000 employés en vertu d’un accord entre le patronat et le ministère. Ce recrutement devait être effectif en 2020 mais jusque-là seuls 2000 personnes ont été recrutées. La Covid a également beaucoup impacté l’exécution de ce projet.

Malheureusement sur les 40 ou 50000 diplômés les entreprises ont du mal à trouver les profils adéquats.

Le ministre a également déploré l’instabilité des politiques publiques et l’absence pendant longtemps d’une structure spécifique qui s’occupait de l’emploi. Il y a aussi déplore Taleb le lourd héritage des politiques désarticulées.

Ainsi aucune stratégie claire pour la population de jeunes ni ni. 44% d’entre eux n’ont ni éducation ni formation professionnelle. C’est une bombe sociale dit le ministre.

Avec l’aide des partenaires susmentionnés il y a des formations qualifiantes.

Il y a eu également la mise sur pied de la Coordination des projets emploi.

3000 emplois avec des projets sur la base de business plan et de coaching ont d’ores et déjà été assurés. La seconde phase de ces projets jeunes va démarrer incessamment avec l’aide de l’AFD.

Un autre projet est également en cours en partenariat avec le ministère de l’éducation. Les défis sont énormes martèle Taleb. Plus de 90% de notre population est constituée de non diplômés ; 45% de nos enfants n’arrivent pas au collège et le taux de la formation professionnelle ne dépasse pas 5% contre 60% au Rwanda.

Le ministre ajoute qu’en dehors du projet « Moustaghbeli » (mon avenir), le deuxième projet « Mihneti » (Ma profession) en collaboration avec le patronat a formé 1000 jeunes dans le domaine des BTP. Avec le ministère de l’éducation il y a l’organisation de la formation professionnelle en zone rurale, des formations qualifiantes, un programme prévu dans les prochaines semaines.

A l’occasion du lancement de l’année scolaire à M’Bout il y a l’inauguration d’un programme triennal qui prévoit 52000 opportunités d’emplois, un projet qui va démarrer dans quelques semaines.

Le ministre soutient que le gouvernement a une nouvelle stratégie basée sur une forte croissance qui va créer de l’emploi. Cette politique va également encourager le contenu local qui ne représente que 30%.

Il a par ailleurs mis à nu les mauvaises performances de l’ANAPEJ dont l’échec est manifeste. En 15 ans, les prêts pour l’auto-emploi ont un taux de remboursement de 18%. Les jeunes sont déconnectés de l’agence. Et le ministre d’affirmer qu’il y a une réflexion pour une refonte totale de l’ANAPEJ. Une réflexion sur une agence pour développer l’économie solidaire pour la structuration d’une soixantaine de métiers identifiés (vendeuses de couscous , chauffeurs de taxis, vendeuses de poisson…). Des mécanismes de financement adéquat seront mis en place avec l’assurance maladie et autres. Ce projet important est en cours mais tout ça devrait s’accompagner d’un changement de mentalités conclut le ministre.

Questions/Réponses

Après l’intervention des panélistes une batterie de questions leur a été adressée. Des intervenants ont également exprimé leurs avis sur la lancinante question de l’emploi en Mauritanie.

Pour Ba Moussa Bathily répondant à une question sur la stratégie de décentralisation dans le domaine de l’emploi, il faudrait intégrer la vocation dominante de chaque région et responsabiliser les collectivités locales. Et Bathily d’ajouter que dans la politique actuelle du gouvernement qui est basée sur la SCAPP qui fait l’objet d’une loi d’orientation, tous les secteurs doivent voir quelle niche ils ont. Ce n’est pas seulement le ministère de l’emploi qui doit s’en occuper.

Il y a aussi le difficile dialogue intersectoriel. Chaque secteur veut faire cavalier seul et il faut un arbitre qui peut être la Société Civile ou les collectivités territoriales. Le programme actuel avec le budget-programme permet à chaque ministère d’identifier son portefeuille de projets, le seuil de transparence est rehaussé. Avant le budget était muet, maintenant c’est plus transparent dit Bathily.

Pour sa part le ministre de l’emploi a évoqué la territorialisation avec les espaces jeunes qui seront ouverts dans toutes les régions du pays avec en leur sein des guichets emplois.

Le programme d’urgence qui bénéficie déjà à 960 personnes sera généralisé assure le ministre.

Sur la question des moyens à la disposition du ministère pour mener son ambitieux programme, le ministre note que les moyens sont de deux ordres. Du côté de l’Etat il y a les fonds de la CDD et le fonds spécial pour l’emploi et aussi un fonds pour l’entreprenariat.

Il est prévu de développer l’écosystème des entreprises sur tous les plans y compris l’aspect institutionnel.

La deuxième source ce sera le financement extérieur avec déjà un don de la Banque Mondiale de 40 millions de dollars sur 5 ans et dès la première année 2021, 8000 jeunes en profiteront. Il y a aussi l’appui de la BAD.

Pour le ministre de l’emploi de la jeunesse et des sports, Taleb Ould Sid’Ahmed le programme du président Ghazwani envisage de mettre fin à l’exclusion et à la discrimination et avec l’ouverture politique et la bonne gouvernance, il sera possible de relever les défis.

Notons enfin que cette manifestation s’inscrit dans le cadre de la série de conférences virtuelles programmées par le CCME en guise de contribution à la réflexion sur les enjeux de développement en Mauritanie.

Synthèse Bakari Guèye

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