Ce petit bijou de technologie franco-américain est enfin dans l’espace. Il va commencer à fournir des données haute définition sur les réserves d’eaux douces et salées de notre planète.
Par Victor Garcia
Quels sont les stocks d’eau douce sur Terre ? Comment optimiser les transports maritimes et la pêche, mieux aménager les côtes et comprendre plus finement l’influence des océans et du cycle de l’eau sur notre climat ? Ce sont les questions auxquelles le satellite Swot (Surface Water and Ocean Topography - Topographie des eaux de surface et des océans) va tenter de répondre.
Si son départ, prévu jeudi 15 décembre, a été retardé en raison d’une météo défavorable, il a finalement décollé du pas de tir de la base spatiale Vandenberg (Californie, Etats-Unis), ce vendredi 16 décembre, à 12h46 (heure de Paris), comme l'a constaté notre journaliste présent sur place. Propulsé par une fusée Falcon 9 de SpaceX, le satellite de 2,3 tonnes né d’une collaboration entre les agences spatiales française (Cnes) et américaine (Nasa), va enfin commencer sa mission. Son but : dresser un inventaire des eaux de surfaces sur Terre et mesurer la hauteur de nos océans, mers, fleuves, rivières, lacs et zones inondées.
Cartographier les réserves d’eau douce
“Swot envoie son signal radar vers la Terre et le réceptionne grâce à deux antennes, ce qui lui permet de triangulariser le signal, explique Nathalie Steunou, responsable système au Cnes, interrogée par L’Express. Grâce à ce mécanisme, il peut effectuer une ‘large fauchée' : il scanne des bandes de 120 kilomètres de large sous lui en tournant autour de la Terre. Et comme il se décale un peu à chaque orbite, il peut donc établir une cartographie complète du globe tous les 21 jours”. Mieux encore, le satellite franco-américain possède une précision 10 fois supérieure à celle de tous les satellites du même type. De quoi produire des données d’une qualité inégalée qui serviront aux scientifiques, aux Etats et à leurs citoyens. Car les résultats du satellite auront des implications environnementales, commerciales et géopolitiques.
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Swot va effectuer, pour la première fois de l’histoire, une cartographie en 3D des réserves d’eau douces à la surface de la Terre. Il va ainsi voir des millions de lacs, rivières ou zones inondées qui n’étaient pas observés jusqu’à maintenant, parce que trop inaccessibles ou parce qu’ils disparaissent et apparaissent en fonction des saisons. Et en mesurant le niveau des lacs, Swot déterminera leur stock d’eau.
“Il va aussi permettre de mesurer le débit des fleuves avec précision, ce qui est particulièrement utile puisque l’activité économique - agriculture, production hydroélectrique, navigation commerciale - de nombreux pays en dépend”, ajoute Thierry Lafon, chef du projet Swot au Cnes, également interrogé. Et comme les grands fleuves de la planète traversent souvent plusieurs Etats, Swot saura s’il y a des pays qui prélèvent plus d’eau que nécessaire par rapport aux besoins de leurs voisins. “Cela va soulever et/ou résoudre des questionnements d’ordre géopolitique”, note le responsable du Cnes.
Swot livrera donc une “vision hydrique globale” de la Terre tous les 21 jours. Les chercheurs sauront d’où vient l’eau douce, où elle va et comment évoluent les stocks. Ainsi, les Etats pourront améliorer la gestion de prévision et de consommation d’eau et mieux anticiper la sécheresse, par exemple en prenant des mesures d’interdictions d’arrosage au moment opportun.
Objectif environnement
L’autre objectif de Swot sera de mesurer la hauteur des océans ainsi que la “circulation océanique”. L’incroyable précision du satellite permettra de mieux observer les courants océaniques comme le Gulf Stream, qui conditionnent notre climat, mais aussi les myriades de petits courants qui les composent. De quoi perfectionner nos connaissances sur la biodiversité marine, puisque ces courants conditionnent le déplacement des nutriments et des animaux marins, et notre gestion de la pêche.
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Ces données permettront surtout de mieux comprendre les échanges entre les océans et l’atmosphère, cruciales pour le climat. “Les océans jouent un rôle fondamental dans l’absorption du CO2 [un gaz à effet de serre, NDLR], précise Thierry Lafon. Ils absorbent 90 % de l’excès d’énergie présent dans l’atmosphère. S’ils ne le faisaient pas, il ferait entre 60 et 70 °C sur Terre”. Ces analyses aideront les climatologues à affiner leurs modèles et mieux comprendre ce que nous réserve le réchauffement climatique dans les années à venir. Ses mesures permettront aussi de dévoiler les mécanismes sous-marins puisque si son radar ne permet pas de sonder directement sous l’eau, les scientifiques savent traduire les mesures de surface pour déterminer s’il y a des courants d’eau chaude, du relief sous-marin, etc.
Enfin, Swot observera avec une grande attention les zones côtières, qui concentrent la majorité de l’activité humaine mais qui sont de plus en plus fragilisées par les tempêtes et la montée des eaux. “Il faut connaître avec plus de précisions l’impact du climat sur les changements de trait de côte et ainsi mieux prédire les désastres, anticiper l’occupation des sols et l’aménagement des territoires”, indique encore Thierry Lafon.