À Bremervörde (Basse-Saxe), les voyageurs à bord du train de 12 h 25 à destination de Buxtehude ne savaient pas tous qu’ils participaient à une première mondiale. Hans et son épouse disent même qu’ils ont hésité avant d’embarquer à bord. « Nous nous sommes demandé pendant un moment si c’était la bonne rame avec son bleu électrique et ces dessins étranges », dit cet homme, âgé d’une cinquantaine d’années. Ces dessins qu’évoque le voyageur, c’est une succession de H et de O dans des cercles reliés entre eux. La représentation de la molécule d’hydrogène.
Une rame silencieuse
Ce 17 septembre, le Land de Basse-Saxe a effectué un grand saut technologique avec la mise en service du premier train à hydrogène au monde, le Coradia iLint, construit par le Français Alstom. Un train qui ressemble de très près, à l’exception de quelques détails, au Coradia diesel, exploité sur cette ligne d’une centaine de kilomètres qui relie la ville balnéaire de Cuxhaven à Buxtehude,
Ainsi ces deux réservoirs installés sur le toit et destinés à être remplis d’hydrogène. Le gaz est mélangé à l’oxygène présent dans l’air dans les deux piles à combustibles, elles aussi sur le toit, pour produire de l’électricité… Un plein permet au train de rouler pendant un millier de kilomètres mais, secret industriel oblige, Alstom se refuse à communiquer la contenance des réservoirs.
À l’intérieur de la voiture aux sièges eux aussi décorés des fameuses molécules, Erik vante le silence de la rame. « C’est une bonne chose pour l’environnement que l’Allemagne se tourne vers cette technologie. », explique ce jeune homme.
Deux prototypes
L’État fédéral a en effet versé près de 9 millions d’euros pour qu’Alstom lance Outre-Rhin le projet « Coradia iLint ». Le constructeur a fabriqué deux prototypes et ce sont ces deux trains qui ont été livrés à l’autorité des transports de Basse-Saxe, premier Land à avoir signé un contrat ferme avec Alstom.
Le constructeur livrera au total 14 rames à partir de 2021 pour quelque 80 millions d’euros. Avec la maintenance et la fourniture d’hydrogène pendant une trentaine d’années, le contrat total atteindrait, selon nos informations, près de 200 millions d’euros.
D’autres Länder en discussions
D’autres Länder sont en discussions avec le constructeur français qui table sur la vente d’au moins 60 trains à hydrogène en Allemagne. Les rames seront produites dans l’usine d’Alstom de Salzgitter (Basse Saxe) mais les moteurs fabriqués à Ornans, dans le Doubs, et les éléments de traction à Tarbes (Hautes-Pyrénées).
Les quelque 1 600 autorails diesel régionaux d’Allemagne sont doute le parc le plus important d’Europe. « Ici, 40 % du réseau ferré n’est pas électrifié », rappelle Stefen Schrank, le directeur du programme iLint. Le diesel est donc la seule solution à l’exception de l’électrification des lignes. « Mais cette solution revient au moins à un million d’euros par kilomètre », insiste-t-il.
Des économies au bout de dix ans
Alstom parie donc sur l’avenir de l’hydrogène alors que l’Allemagne s’est engagée à réduire ses émissions de CO2 de plus de 30 % à l’horizon 2020. Or le Coradia iLint est un train sans émission. Reste cependant le problème de la production du gaz lui-même encore essentiellement produit à partir d’énergie fossile : charbon ou gaz… C’est ce qu’on appelle l’hydrogène gris. L’avenir devra passer par les progrès de la production de gaz à partir d’électrolyse grâce à de l’électricité solaire ou provenant d’éoliennes.
Quant au prix, « un train à hydrogène est sensiblement plus onéreux qu’une rame diesel à l’achat, reconnaît Stefen Schrank. Mais les économies sont visibles à partir de 10 ans d’utilisation. » Et cela notamment, selon l’ingénieur d’Alstom, en raison des prix du diesel qui sont amenés à augmenter.
La France pourrait suivre
L’Allemagne n’est pas le seul pays que vise Alstom qui cite, entre autres, les pays du Nord, le Royaume-Uni, le Canada… mais aussi la France dont la moitié du réseau n’est pas électrifiée et où certains s’inquiètent de l’avenir des petites lignes. « Mais contrairement à l’Allemagne, ces petites lignes sont très peu utilisées », dit cependant un bon connaisseur du dossier.
Pour autant, le député LRME de Gironde Benoît Simian a été chargé d’une mission parlementaire sur le train à hydrogène en avril 2018 par le gouvernement. Selon lui, le train à hydrogène a toute sa place en France, notamment sur de petites lignes traversant des parcs régionaux. Le Sud-Ouest pourrait être pilote dans une expérimentation.
TER Hybride
En attendant, la SNCF, Alstom et les régions Grand Est, Nouvelle Aquitaine et Occitanie vont s’associer pour mettre au point un TER hybride qui pourra fonctionner en mode électrique, diesel et sur batteries. Pour cela, un TER fabriqué par Alstom va être prélevé sur le parc de la région Occitanie pour être modifié. Il doit faire ses premiers essais en 2020 et entrer en service commercial l’année suivante pour le tester en conditions réelles.
Le déploiement en série est ensuite envisagé dès 2022. « Aucune autre solution ne permet à court terme sur le matériel en exploitation de tels gains : une réduction de 20 % de l’énergie consommée et des gaz à effet de serre », explique Frank Lacroix, le directeur général TER, dans un communiqué. L’expérimentation doit coûter 16,6 millions d’euros, répartis entre les cinq partenaires.