Les eurodéputés ont adopté, mercredi 15 février, un projet de réforme visant à mieux réguler les émissions de CO2. Les ONG le jugent très insuffisant.
C’est la réforme de la dernière chance. Le Parlement européen a adopté, mercredi 15 février à Strasbourg, un projet de refonte du marché communautaire du carbone après 2021. Il s’agit de rendre plus efficace cet instrument de régulation des émissions de CO2, jugé essentiel pour lutter contre le réchauffement climatique mais resté jusqu’ici presque totalement inopérant. L’enjeu est de permettre aux Vingt-Huit – en considérant que le Royaume-Uni fait toujours partie de l’Union européenne (UE) – de se mettre en phase avec l’accord de Paris sur le climat issu de la COP21.
La toile de fond est connue. L’UE est le troisième plus gros émetteur mondial de CO2 (3,47 milliards de tonnes en 2015), après la Chine (10,96 milliards de tonnes) et les Etats-Unis (5,17 milliards de tonnes). Mais elle s’est fixé pour objectif de réduire ses rejets de gaz carbonique de 40 % d’ici à 2030, par rapport à leur niveau de 1990. Un cap que ses pays membres suivent pour l’instant avec une détermination et une réussite inégales. A l’horizon du milieu du siècle, la baisse des émissions doit atteindre 80 %.
Pour accélérer le mouvement, l’UE a été la première entité politique et géographique à mettre en place, en 2005, un système d’échange de quotas d’émissions de CO2 (Emissions Trading Scheme). Le principe, inspiré de la règle du pollueur-payeur, consiste à fixer un plafond annuel d’émissions aux différentes industries, celles qui le dépassent pouvant acheter des quotas supplémentaires à celles qui ne l’ont pas atteint. Le jeu de l’offre et de la demande fixe ainsi le coût de la tonne de carbone émise.
11 000 installations concernées
Ce mécanisme européen s’applique à plus de 11 000 installations industrielles (centrales thermiques de production d’électricité, réseaux de chaleur, aciéries, cimenteries, raffineries, verreries, papeteries…) qui totalisent près de 45 % des émissions de gaz à effet de serre de l’UE. Depuis 2012, le secteur de l’aviation est inclus au dispositif, pour les vols au sein de l’espace européen.
Or, si vertueux soit-il sur le papier, ce système n’a jamais fonctionné. Du fait de l’attribution d’un volume trop important de quotas, ainsi que de la récession économique, le prix de la tonne de CO2, qui était au départ de 30 euros, a chuté à environ 5 euros. Un niveau trop bas pour avoir un effet incitatif sur les industriels, qui ne trouvent aucun intérêt à investir dans des technologies plus sobres en carbone. Les économistes estiment que ce n’est qu’à partir d’un prix plancher de 30 euros que l’on peut attendre un effet d’entraînement.
D’où la volonté de relancer la machine. Mais comment ? Le chantier de la réforme traîne en longueur. Il se heurte en effet aux dissensions entre pays défendant leurs intérêts économiques – la Pologne refuse par exemple de pénaliser son secteur charbonnier –, comme au lobby d’industries – à commencer par les cimenteries – qui craignent de perdre en compétitivité.
Révision à la baisse
Les nouvelles règles de fonctionnement votées par les eurodéputés doivent couvrir la période 2021-2030. Elles s’inspirent d’un rapport du Britannique Ian Duncan (groupe des conservateurs et réformistes européens), adopté le 15 décembre 2016 par la commission de l’environnement du Parlement européen et guidé par une volonté de compromis. Toutefois, en séance plénière, les parlementaires ont revu à la baisse plusieurs mesures essentielles.
La commission de l’environnement avait prévu qu’à partir de 2021, le nombre de quotas d’émissions alloués serait réduit chaque année de 2,4 %, afin de faire progressivement remonter leur valeur marchande et de restreindre les émissions. Les députés ont ramené ce taux à 2,2 %, en s’alignant sur la position de la Commission de Bruxelles.
En revanche, comme prévu, la « réserve de stabilité », qui permet d’absorber le surplus de quotas sur le marché, pourra geler jusqu’à 24 % des excédents de crédits, soit deux fois plus qu’aujourd’hui. Et 800 millions de quotas (à comparer aux quelque 2 milliards attribués tous les ans) seront purement et simplement supprimés de cette réserve.
Le recul le plus important porte sur les quotas attribués gratuitement. Actuellement, seul le secteur de la production d’électricité est intégralement soumis au système des enchères. Les industries, elles, se voient allouer gratuitement la plus grande partie, voire la totalité de leurs quotas. Cela, afin d’éviter ce que les experts appellent « la fuite de carbone », c’est-à-dire la délocalisation des activités de production dans des pays moins réglementés. C’est notamment le cas des cimenteries, qui pèsent pour 8 % dans le total des émissions européennes, mais qui sont totalement exemptées d’enchères.
« Trahison de l’accord de Paris »
« L’industrie du ciment reçoit des allocations gratuites pour émettre du CO2, elle ne paie donc pas pour la pollution qu’elle produit. Bien pire, elle engrange des profits exceptionnels grâce aux trop nombreux permis de polluer qu’elle reçoit », dénonce l’ONG Carbon Market Watch, qui chiffre ces profits à « plus de 5 milliards d’euros ». Le texte soumis aux eurodéputés prévoyait la fin de l’attribution de quotas gratuits à ce secteur, assortie de la mise en place d’une taxe sur les importations. Mais les députés ont fait marche arrière. Avant le vote, l’association européenne des cimentiers Cembureau avait réclamé que les industries fortement consommatrices d’énergie continuent à bénéficier de crédits gratuits.
Les ONG environnementales ont aussitôt déploré ces reculs. « En adoptant une réforme a minima du marché carbone de l’UE (…), la majorité des eurodéputés a cédé aux sirènes des lobbies industriels et des énergies fossiles, accuse Célia Gautier, responsable des politiques européennes et internationales au Réseau Action Climat. Il s’agit d’une trahison de l’accord de Paris. » De son côté, le WWF estime que « la réforme du marché carbone échoue à sauver la crédibilité de la politique climatique de l’UE ».
La réforme du marché du carbone est loin d’être arrivée à son terme. Les négociations tripartites entre Parlement, Commission et Conseil restent à mener sur ce dossier. Les ministres de l’environnement, qui avaient échoué à trouver un accord fin 2016, doivent se retrouver le 28 février. « Ne pas mettre en œuvre une réforme plus ambitieuse, dit Célia Gautier, serait une occasion manquée pour l’Europe, pour la décarbonation de l’économie et pour la lutte contre le changement climatique. »
Source Monde climat/marche-du-carbonne