Rosso Mauritanie, tout comme Rosso Sénégal, vit grâce au souffle de vie qu’il tire de deux activités : l’agriculture et l’effervescence que tout visiteur de cette ville frontalière observe autour du bac bientôt remplacé par un pont devant fluidifier la circulation des personnes et des biens entre deux pays au destin commun.
Les échanges rythment le cours de la journée. Des véhicules de transport de marchandises, toutes catégories confondues, des hommes, femmes et enfants, qui traversent ou s’adonnent à des activités de survie rendues possibles grâce à ce bac devenu une référence locale, et même nationale, à tel point que le nom, comme d’ailleurs beaucoup d’autres emprunts du français, s’insère parfaitement dans le parler hassanya de tous les jours.
Mais l’activité économique autour du bac ne se réduit pas uniquement à ces retombées socioéconomiques apparentes. Il y a également de gros business autour : vente et achat de devises, transit, services rendus, de manière légale ou non, par des prestataires sur les deux rives de ce fleuve-frontière mais également ciment d’une amitié très forte, étant séculaire, entre la Mauritanie et le Sénégal.
L’on estime à 1000 intervenants par jour le nombre de personnes que le bac de Rosso fait vivre en s’adonnant à des activités liées aux échanges entre la Mauritanie et le Sénégal. Certes, la construction du Pont ne devrait pas bouleverser considérablement ces habitudes mais il faut penser, dès à présent, à la conversion vers de nouvelles pratiques beaucoup plus contraignantes, du point de vue de la loi et de l’ordre. Déjà, au niveau de la Société des Bacs de Mauritanie, l’on pense à la modernisation de la gestion des trafics, de la surveillance et des services. Comme l’informatisation du système, l’installation d’un Guichet unique, à l’image de ce qui se fait au niveau de la Zone franche de Nouadhibou, ou encore la vidéosurveillance dans un lieu hautement stratégique où il faut penser d’abord à la sécurité.
C’est un autre acte de fraternité et de sens du partage que pose la Mauritanie en acceptant la construction d’un pont qui « tue » son bac, longtemps considéré comme un instrument de souveraineté. Elle a opté donc pour le partage et la gestion commune que la construction du pont de Rosso consacrera comme patrimoine entre les deux pays.
En attendant l’opérationnalité du pont, la Société des Bacs de Mauritanie (SBM), qui est une mutation, en 2001, de la SBR (Société des Bacs de Rosso), quand la Direction de l’établissement avait ouvert une « ligne » à Kaédi, essaie d’améliorer ses services, malgré une conjoncture internationale difficile due à la baisse de la migration mais aussi à la concurrence avec le barrage de Diama, choisi souvent par les voyageurs pressés ou ceux qui craignent d’arriver au moment où le bac a fini ses rotations quotidiennes.
La construction du pont de Rosso a nécessité un financement d’environ 90 millions d’euros dont une bonne partie a été décaissée par la Banque africaine de développement (BAD). En attendant, la direction de la SBM fait comme si elle devrait vive cent ans. Elle étudie, cherche et améliore ses services. Elle vit le présent et accompagne, autant que possible, la dynamique économique et sociale née du trafic entre la Mauritanie et le Sénégal qui s’apprêtent à entrer dans l’ère du gaz.
L’avènement du Pont de Rosso ne devrait pas signifier, nécessairement, la disparition de la SBM. Il y aura plutôt restructuration avec une nouvelle vocation tournée vers les autres points de passage entre la Mauritanie et le Sénégal (Jedrel Mohguen, Boghé, Kaédi, Toufonde Civé, Gouraye). Elle devra cependant moderniser son outil de navigation en remplaçant (ou rénovant) les deux bacs acquis en 1974 et 1981. Ces différentes mutations de la société n’ont pas réussi à perturber l’image et le symbole que les « gens de Rosso » ont de ce patrimoine qu’est le bac qui ne devrait, en aucun cas, disparaitre.
Concernant le pont de Rosso, c’est le Sénégal qui a piloté la gestion du projet — une des concessions faites par Nouakchott — tandis que la Mauritanie en abritera le siège de l’autorité gestionnaire. Les travaux ont coûté en tout 87,5 millions d’euros dont la répartition est la suivante : 41 millions d’euros (BAD), sous forme de dons et de prêts, 22 millions d’euros (BEI), sous forme de prêt, 20 millions proviennent de l’Union européenne et les deux États ayant le complément, soit près de 4,5 millions d’euros.
La réalisation du Pont de Rosso jouera un rôle décisif dans le développement de l’interconnexion des réseaux routiers régionaux. Il constituera un maillon important de l’intégration et du développement des échanges entre les pays de l’Union du Maghreb Arabe, de l’Afrique de l’Ouest et probablement au-delà. Sa construction permettra de développer les activités de transport le long des corridors transafricains Tanger-Nouakchott -Dakar -Lagos et Alger-Nouakchott-Dakar.
Le montant total des indemnisations des deux côtés du fleuve s’élève à 1.427.000 euros, soit 2,38% du montant global.
Avec la construction du pont, la société des bacs de Rosso, en sa qualité d’opérateur en transport, se redéployera en deux principales évolutions: reconversion de l’opération de traversée du fleuve en opérations liées au transport longitudinal sur le fleuve en collaboration avec la SOGENAV, agence de navigation de l’OMVS et les anciennes barges de transport seront transférées au site de l’embarcadère de Kaédi. L’embarcadère de Rosso est appelé à évoluer en port fluvial et en chantier naval.
SNEIBA Mohamed