L’enseignement en Mauritanie fait face à de nombreux défis. Pour les entendre, il est impératif de revenir, ne serait-ce qu’en partie, sur leurs deux sources principales : les carences en infrastructures et en ressources humaines. Une situation évidente dès l’indépendance de ce pays d’un million de km² à peine peuplé, à l’époque, de quelque 600.000 habitants et pourvu d’un très faible legs colonial. Selon Francis de Chassey, il n’était constitué, en 1960, que de huit écoles primaires et d’un seul établissement secondaire, le collège « Xavier Coppolani » de Rosso. Insignifiant au regard, par exemple, du Sénégal voisin où l’Université existait depuis 1920. Il a fallu mettre les bouchées triples. Avec quelques résultats indéniables : les efforts colossaux des gouvernements successifs permettent de compter actuellement des milliers d’écoles primaires (plus de cinq mille), un millier de lycées et collèges, une centaine d’universités et autres instituts spécialisés. Si l’on regrette, en ce bilan, l’absence de constructions, par le gouvernement et les autorités locales, de crèches, cases de tous petits et jardins d’enfants, celui-là reste surtout assombri par des défauts dans les infrastructures édifiées, surtout durant les deux décennies noires « Bling-Bling » ou « Vessad » des années 1980-2000. Trop d’écoles restent dépourvues de tables-bancs, latrines, eau, clôture, bibliothèque... Plus grave encore, des écoles primaires à Nouakchott ont été tout récemment détruites et vendues, cédant la place à des marchés érigés peut-être par leurs propres anciens élèves, sans que personne ne lève le bout du doigt.
La fonction d’enseignant a aussi subi, en soixante ans, une extrême dévaluation (monétaire, place dans la société, considération des parents d’élèves…). Ce noble métier mérite pourtant beaucoup plus de considération. D’autant plus que s’est développée une inquiétante démission des parents, trop occupés et peu accessibles à la maison, obligeant les enseignants à se substituer à ceux-là dans l’encadrement et l’éducation des enfants. Parents démissionnaires, enseignants peu ou prou motivés, comment se plaindre, alors, du désintérêt des élèves ?
La personnalité de l’enfant se construit très jeune, entre 2et 6 ans, et le peu d’encadrement en ces âges pose problème pour l’homme et la femme de demain, surtout du citoyen. En ville comme en brousse, les parents laissent leurs enfants aux soins de la bonne, des proches, des voisins, voire de la rue. Souvent irrégulièrement alimentés, ils sont parfois confrontés à programmes TV d’adultes et offerts à la dure loi de la rue où les risques sont encore plus grands. Certains parents leur montrent le mauvais exemple à chaque instant : téléphone au volant, non-usage de la ceinture de sécurité, irrespect des feux et des passages piétons, mettant ainsi leur vie et celle d’autrui en danger. Et je ne parle pas des coutumiers retards à l’école.
Les exigences des institutions de Bretton Woods, les différents réformes des années noires 1980/2000 et les indicateurs quantitatifs ont fourni des cohortes d’élèves qui ne maîtrisent ni l’arabe ni le français. L’abandon scolaire des filles, généralement très supérieur à celui des garçons, surtout en milieu rural, nécessite une attention particulière. Leur scolarisation en vue de leur autonomisation doit être beaucoup plus encouragée. Le manquement actuel est une erreur impardonnable au pays du « million d’analystes ». Car les revenus de la femme qui travaille aident ses enfants, ses parents et ses proches. Mariée ou divorcée, sa situation ne change pas, contrairement à l’homme qui se dresse fier, en se mariant, comme s’il s’était fait en un seul jour. Combien de femmes ont laissé mari et enfants à plus de 500 kilomètres, pour s’occuper d’un de ses parents malade, alors que le fils de celui-ci habitant à 500 mètres se contente de passer deux ou trois minutes, tous les deux ou trois jours, pour demander si le malade a pris ses médicaments, avant de repartir comme il est venu.
Agir méthodiquement, sans se presser
De tels constats signalent combien difficile est la situation. Mais aussi urgent paraît son traitement, il ne faut pas se presser. C’est bien progressivement qu’on pourra régler les problèmes dans toute leur complexité qui demande l’engagement de tous. Comme dit le célèbre adage : « rien ne sert de courir, il faut partir à point ». Préparer les termes de références et une bonne feuille de route des États généraux de l’Éducation fondamentale, afin de définir vision, mission et résultats attendus à court, moyen et long terme. Ensuite, Il faudra penser de manière objective à associer les anciens et nouveaux responsables du Ministère, que toutes les institutions et personnes successibles d’y contribuer, de près ou de loin (administration territoriale et locale, universités, partis politiques, enseignement originel, oulémas, secteur privé, ONG, diaspora, etc.). Un document ou Livre blanc pourra être édité à cette occasion. Suivi, chaque année, d’un état des lieux fourni par le Ministère, établissant bilan, suivi des réformes et décisions, en vue des ajustements nécessaires.
Glissons ici une proposition à considérer en fonction de sa faisabilité : rattacher, au Ministère de l’Enseignement fondamental et de la réforme de l’Éducation nationale, le secteur du préscolaire, en lui donnant les moyens, à terme, de se généraliser. D’autres idées peuvent être étudiées, approfondies, avant décisions idoines. Citons la généralisation des écoles préscolaire et fondamentale républicaines et publiques ; la définition d’un programme unique et son application en tout lieu du territoire ; la définition et la mise en chantier d’un modèle d’infrastructures scolaires et préscolaires, avec des normes et critères à respecter par tous ceux qui seront responsables de leur réalisation, en prenant en compte des besoins de chaque enfant, surtout ceux vivant en fauteuil roulant, mal voyants ou en tout autre « handicap ».
À l’instar de « Taazour », la nouvelle institution en charge de la solidarité nationale et de la lutte contre l'exclusion, le Ministère pourra travailler au lancement d’un programme d’infrastructures « École modèle ». Cet autre programme national de construction ou de réhabilitation pourra être mieux réalisé avec l’appui des élus, des autorités, locales, des ONG ou associations de parents d’élèves, du privé, de la diaspora, des ressortissants d’un village ou des anciens élèves et des Partenaires Techniques et Financiers (PTF).
Tout ceci implique de recruter des éducateurs ; en particulier des femmes. Des primes de langues pourront être notamment attribuées, en fonction de la maîtrise des langues nationales, après un test aux écoles nationales des instituteurs (ENI), comme, par exemple, 1000 MRU/mois pour chaque langue maîtrisée. Belle occasion, enfin, de lancer un plaidoyer visant à faire établir une même et systématique augmentation de salaires des trois corps suivants : forces armées, éducateurs et le personnel de santé.
Ethmane BA